PMU : Médiapart commente la lettre de Philippe Germond

Laurent Mauduit, qui avait déjà évoqué l’affaire du bonus touché par Cyril Linette en pleine tempête, en remet une couche dans Médiapart, en commentant la lettre envoyée par Philippe Germond aux administrateurs des sociétés de courses. Et il révèle l’existence d’un parachute doré en cas de départ du DG…

Le patron du PMU est sévèrement mis en cause par son prédécesseur

PAR LAURENT MAUDUIT

ARTICLE PUBLIÉ LE VENDREDI 4 JUIN 2021

Déjà au centre d’une polémique à cause de ses rémunérations pharaoniques, le PDG de l’entreprise, Cyril Linette, est mis en cause par l’un de ses prédécesseurs, Philippe Germond. Dans une lettre aux administrateurs, celui-ci pointe des «erreurs  stratégiques» et estime que les résultats du PMU sont calamiteux.
Dans le microcosme huppé des courses hippiques, où les mœurs sont policées et les éclats de voix rarissimes, c’est une initiative qui risque de faire du bruit. Dans un courriel confidentiel adressé à vingt-six personnalités qui dirigent France Galop et la Société d’encouragement à l’élevage du cheval français (la SECF, en charge des courses de trot), les deux principales entités qui supervisent le PMU, l’ancien président de l’entreprise, Philippe Germond, tire à boulets rouges sur son successeur, Cyril Linette.
Il lui reproche des « erreurs stratégiques majeures » et estime que « les paris hippiques perdent pied » face à l’un de ses concurrents directs, la Française des jeux (FDJ).
Ce mail, dont Mediapart a obtenu une copie et que l’on peut consulter ci-dessous (), risque de faire des vagues considérables dans le monde des courses. À cela, il y a une première raison qui tient à la violence du réquisitoire, très argumenté, dressé par Philippe Germond, qui a présidé l’entreprise de 2009 à 2014. Et puis, il y a aussi un second motif : cette affaire éclate alors que Cyril Linette vient tout juste d’être ébranlé par les révélations de Mediapart concernant le montant pharaonique des rémunérations qui lui sont versées, malgré les crises sanitaire et économique qui touchent la filière.
Sans doute Cyril Linette n’a-t-il à s’en prendre qu’à lui-même car, multipliant les entretiens dans la presse écrite et audiovisuelle (sur BFM Business ou dans Le Journal du dimanche), il n’a rien trouvé de mieux à faire, pour glorifier son bilan, que d’accabler ses prédécesseurs. Et c’est ce qui a fait sortir de sa réserve Philippe Germond, qui fut tour à tour PDG de SFR, directeur général d’Alcatel ou encore président du directoire d’Atos, avant de prendre les commandes du PMU. C’est du moins ce que ce dernier suggère en introduction de son message, faisant valoir qu’il est «aujourd’hui associé et actionnaire d’une banque d’affaires à Paris» – en l’occurrence, il s’agit de la banque Barber Hauler –, et assurant qu’il écrit ce texte «à titre personnel, sans ambition ni agenda caché». Juste pour «corriger les informations  erronées répandues régulièrement dans les médias», et agrémentées de «chiffres fantaisistes et la plupart du temps faux».
Les mots utilisés sont particulièrement sévères à l’égard de Cyril Linette, même si son nom n’est jamais cité – ce qui ne trompera pourtant personne car Philippe Germond dénonce ces entretiens donnés à des médias par son successeur. Et le message est fait pour faire le plus de vagues possible puisque les destinataires du courriel sont les principaux responsables des deux filières des courses de galop et de trot, qui supervisent le PMU. Dans le lot, il y a ainsi Édouard de Rothschild, président de France Galop (actionnaire à un peu plus de 5% de la banque homonyme et ex-propriétaire du journal Libération). Et il y a aussi Jean-Pierre Barjon, président du Trot.

Dans son courriel, l’ancien patron du PMU fait donc grief à son successeur d’énoncer une cascade de contre-vérités sur le passé de l’entreprise, pour enjoliver son propre bilan. Et puis, il en vient à l’essentiel:  «Il y a deux façons de mesurer la performance d’une entreprise: par rapport à sa propre performance lors des années précédentes et par rapport à ses concurrents.» Et à le lire, on comprend bien que c’est la seconde méthode qui est la plus pertinente car elle permet de prendre en compte les changements de conjoncture.
Philippe Germond s’applique alors à faire une comparaison entre les résultats du PMU et son principal rival dans le marché dérégulé des jeux en ligne, en l’occurrence la Française des jeux (FDJ).

« En 2020, constate ainsi Philippe Germond, le PMU s’est félicité de la forte croissance de ses paris hippiques en ligne: +30%. Mais cette performance n’a rien d’exceptionnel sur un marché des paris hippiques en ligne qui a crû de +33% (source ANJ) et où les concurrents hippiques du PMU ont progressé de 40%. Le PMU a perdu 1,6point de part de marché, passant de 73,3% en 2019 à 71,7% en 2020, alors qu’il aurait dû pleinement profiter du report des parieurs des points de vente vers Internet du fait de la fermeture de ces points de vente. Les concurrents comme ZEturf ont fait mieux que le PMU en 2020.»

Et l’ancien patron du PMU poursuit: «Mais la comparaison est encore plus implacable et inquiétante si on compare les résultats du 1ertrimestre 2021 des deux sociétés: la croissance de la FDJ (tous jeux confondus) au 1ertrimestre 2021 par rapport au 1er trimestre 2019 a été de +6% alors que sur la même période le PMU décroissait de -12%. Si on compare le 1ertrimestre 2021 à celui de 2020, la FDJ croît de +12% et le PMU décroît de -3,5%, soit plus de 15points de croissance de différence. Les paris sportifs de la FDJ en points de vente progressent au 1ertrimestre 2021 vs même période en 2020 de +40% et les paris hippiques du PMU en points de vente baissent de -18%. Les paris sportifs de la FDJ tous canaux confondus (points de vente + Internet) ont connu une croissance de +46% alors que les paris hippiques totaux du PMU étaient en baisse de -6,5%. Les paris sportifs de la FDJ ont ainsi surpassé les paris hippiques du PMU de plus de 50 points de croissance. À ce rythme-là, dans un peu plus d’un an, la FDJ prendra plus de mises sportives que le PMU de mises hippiques.»

C’est donc un véritable réquisitoire que l’ancien patron du PMU dresse de l’action de son successeur, réquisitoire qu’il résume en une phrase: «Le PMU et les paris hippiques perdent pied face à la Française des jeux et aux paris sportifs.» Il détaille ensuite les «erreurs stratégiques» de Cyril Linette – il en voit au moins trois principales – et donne son avis sur les solutions qu’il conviendrait de mettre en œuvre «afin de limiter cette descente inéluctable» et «réparer ce qui a été cassé».
De plus, Philippe Germond n’achève pas la comparaison entre le PMU et la FDJ: il ne met pas en regard les rémunérations des PDG des deux entreprises. Mais immanquablement, c’est à cela que penseront tous ceux qui s’intéressent au secteur économique des jeux en ligne. Car les rémunérations de Cyril Linette sont colossales tandis que celles de son homologue de la FDJ, Stéphane Pallez, dont les résultats sont donc bien meilleurs, sont inférieurs de près de moitié.

Mediapart a en effet révélé récemment les rémunérations perçues par Cyril Linette, qui étaient jusque-là secrètes bien que l’entreprise soit placée sous la double tutelle du ministère de l’agriculture et du ministère du budget, et bien que le numéro deux de la direction du budget, Alexandre Grosse (chef de service, adjoint de la directrice du budget) siège à son conseil d’administration aux côtés de trois autres hauts fonctionnaires.
Selon nos informations – que Cyril Linette a dû finalement confirmer – ce dernier dispose en effet d’une rémunération totale annuelle de 775000 euros (400000euros en fixe et 375000euros en variable). Et en cas de départ de l’entreprise (hors démission), il est assuré de percevoir un parachute doré (ou «golden parachute») à peine inférieur à 1million d’euros – 968 750 euros pour être précis.

Or les rémunérations de Stéphane Pallez sont beaucoup plus modestes. En 2020, la rémunération de celui-ci a atteint 320000euros en fixe, auxquels s’ajoutent 80000euros en variable, soit au total 400000 euros. Ce qui appelle deux remarques de bon sens. D’abord, tous ces chiffres de la FDJ sont publics, quand ceux du PMU sont secrets; par surcroît, la patronne de la FDJ est payée presque moitié moins que le patron du PMU, alors que la première entreprise a un poids économique autrement important que la seconde. Même si le «variable» de Stéphane Pallez doit augmenter dans les années à venir, la PDG de la FDJ, qui a un cursus beaucoup plus solide que son homologue, n’est pas près de rattraper sa rémunération.

La comparaison est même encore plus accablante parce que, le 30 avril 2020, à la faveur d’un

communiqué concernant la mise à disposition du document d’enregistrement universel de la FDJ, le

groupe a fait cette annonce: «Dans ce contexte [de la crise sanitaire], la société a également décidé

de reporter à 2021 la mise en place d’un plan d’intéressement à long terme destiné aux cadres

dirigeants du Groupe. Pour leur part, Stéphane Pallez, Présidente directrice générale, et Charles Lantieri, Directeur général délégué, ont proposé de diminuer d’un mois leur rémunération fixe annuelle, pour s’associer à l’action de solidarité à laquelle les collaborateurs de FDJ ont contribué en faisant don de plus de 1400 jours de congé au profit de l’alliance “Tous unis contre le virus” et d’associations soutenues par la Fondation d’entreprise FDJ.»

La véritable rémunération annuelle fixe de Stéphane Pallez a donc été diminuée de 26 666 euros, pour atteindre 293334 euros. Si l’on ajoute à cette somme un variable de 80 000euros, la rémunération globale, fixe et variable de la dirigeante de la FDJ a donc atteint un peu plus de 373000euros en 2020, à comparer aux 775000 euros pour Cyril Linette, dont le variable lui a été intégralement versé. Ce qui a suscité un vif émoi dans une entreprise qui traverse pourtant une passe difficile à cause de la crise sanitaire et supprime massivement des emplois, tandis que toute la filière a été très éprouvée par les confinements à répétition.

D’une crise à l’autre, c’est dire que le PMU s’enfonce dans les turbulences. Qu’en pensent les administrateurs qui représentent l’État? Le plus souvent dans la vie des affaires, ils ne soufflent mot et sont adeptes du laisser-faire. Sans doute est-ce ce qui se passe au PMU…
Laurent Mauduit